Un projet médiatico-pharaonique
Un chantier d’ampleur : faire rattraper les perturbations de la crise sanitaire aux élèves avec une priorité sur les 4% de décrocheurs par le biais de « vacances apprenantes » totalement gratuites pour les enfants issus des foyers aux revenus modestes. Objectif louable d’un Ministre qui se veut sans cesse providentiel et le clame sur chaque canal médiatique. Mais n’oublions pas que les professeurs des écoles se sont éreintés à fournir, tant en présentiel qu’en distanciel, des efforts colossaux. S’il y a du retard, celui-ci n’est dû qu’à des conditions particulièrement délétères aux apprentissages auxquelles les enseignants n’ont pu palier malgré leur implication sans faille.
Le ministère va injecter 200 millions d’euros dans ces « vacances apprenantes » au sein des différentes déclinaisons consultables par les parents sur une plateforme dès la mi-juin. Un million d’enfants pourraient en bénéficier.
A cela s’ajouteront, pour un mélange des genres toujours plus indigeste, 150 millions d’euros pour rénover le secteur touristique et 30 millions d’euros pour « aider les collectivités à adapter leurs locaux pour accueillir des activités de loisirs » et financer le BAFA, 10 000 animateurs manquant à cette heure à l’appel pour l’été à venir.
Vacances apprenantes et vices cachés
Ces « vacances apprenantes » se déclinent en 4 dispositifs distincts, à visées différentes :
– Le dispositif écoles ouvertes, déjà existant mais renforcé pour permettre à 400 000 enfants d’y avoir accès au lieu des 70 000 en bénéficiant d’ordinaire. Les 5000 professeurs des écoles normalement en fonction sur cette mission devront cette fois être 25 000 ! Les volontaires seront-ils assez nombreux ? Le Ministre a déclaré dans Ouest-France : « Je sais que nous pouvons compter sur la mobilisation de nos partenaires associatifs comme sur celle des professeurs ». De là à penser qu’on pourrait dériver vers du volontariat désigné d’office, il n’y a qu’un pas, surtout quand on sait que les appels incitatifs d’IEN sont coutumiers quand un projet a besoin d’un « coup de pouce » pour déboucher sur les objectifs espérés. Employer ici des professeurs des écoles est gage d’excellence, mais si les volontaires venaient à manquer…Eh bien là, ce serait une autre paire de manches et la qualité pâtirait d’un recrutement contractuel hasardeux. De même, aucune donnée à cette heure sur le mode de rémunération et la hauteur de celle-ci. La ventilation horaire devrait s’articuler autour du soutien scolaire en matinée et des activités à connotation culturelle et sportive les après-midis. Le Ministre projette d’ouvrir 2500 écoles et établissements à cet effet. Le système ne serait pas réservé qu’aux quartiers prioritaires afin de toucher plus de public.
– Les écoles ouvertes buissonnières. Derrière une appellation bucolique se cache une déclinaison des écoles ouvertes dans le cadre non moins bucolique des zones rurales ou côtières avec pour objectif la découverte de la nature et du patrimoine local. Comme mode de fonctionnement : la pension complète. Les effectifs seraient de 10 000 enfants. Quelles seraient les qualifications des animateurs ? Nous l’ignorons. La fédération du scoutisme français serait mise en avant pour chapeauter cela. Point d’enseignants alors…
– Les colonies de vacances apprenantes. Et là, c’est le drame. Quel camouflet de constater à quel point le Ministre peut s’affranchir de certains gages de qualité. Et à quel point certaines pierres angulaires peuvent être jetées au loin sans vergogne. Les professeurs des écoles n’auront ici nullement la main sur ce dispositif car ce seront les collectivités territoriales qui l’organiseront. La cible ? 250 000 enfants dont 200 000 issus des quartiers prioritaires. Le contenu ? Des activités ludico-pédagogiques à visée de renforcement des savoirs et compétences avant la rentrée. L’enseignement entre les mains de non-enseignants ? Un comble ! L’État financera à hauteur de de 400€ par enfant et par semaine.
– Les accueils de loisirs apprenants. La transmission des savoirs échappe ici aussi aux professeurs des écoles au sein de ces centres aérés qui accueilleront 300 000 enfants. Curieux mélange des genres ici encore où les pratiques éducatives côtoieront les pratiques culturelles et sportives. Seraient proposés du « jeu pédagogique » et de la « remobilisation scolaire ». Les parcours pédagogiques en ligne du CNED seraient mis à disposition à cette fin. Qu’il est réducteur de penser qu’un quidam muni d’une vulgaire notice de montage puisse mener à bien des apprentissages avec des élèves au même titre qu’un professeur des écoles diplômé. De là à penser que les contractuels missionnés pourront se multiplier en dehors de ce dispositif et qu’on ouvre là une boite de pandore, il n’y a qu’un pas.
Blanquer, Ministre du périscolaire
Ce qui nous inquiète, c’est bien que ces « vacances apprenantes » vont échapper en grande partie à l’Education nationale. S’il est louable de tenter de lutter contre le décrochage scolaire et essayer de combler des lacunes dues à un contexte si particulier, il ne faudrait pas donner une image de facilité de transmission des savoirs qui serait complétement faussée. Et de laisser penser qu’elle serait à la portée du premier venu.
Cela pourrait déboucher sur une autre facilité : la pérennité d’un appareil qu’on peut entendre comme palliatif d’une situation tant exceptionnelle que bornée dans le temps mais certainement pas comme outil usuel et ordinaire, confisquant à des experts confirmés un savoir-faire qui ne saurait sérieusement être confié à des profanes. C’est l’image de l’Ecole, déjà bien dégradée, qui serait une fois de plus égratignée.
La crainte de voir intégrer dans les missions des enseignants, via les ORS, ce service à rendre durant les vacances estivales est présente. Cela serait possible sous couvert d’une revalorisation du type « travailler plus pour gagner plus » alors que la coupe est pleine et qu’une enquête dévoile qu’au sein de l’OCDE, la France est largement en dessous de ses voisins, à 42$ brut par heure enseignée (tenant donc compte des préparations) alors qu’en moyenne, dans l’Union européenne, un professeur gagne 55$ par heure. En Allemagne, un enseignant gagnera 93$ par heure, soit plus du double qu’en France.
En outre, le pilotage (ou son absence) ne peut qu’être préoccupant : les activités se déroulant en été et les DSDEN et Rectorats étant fermés à cette période, qui orientera le dispositif tout au long de son incertain développement estival ?
Et lorsqu’on nous dit qu’il est plus que jamais nécessaire de recréer le lien perdu entre Ecole et familles durant le confinement, comment y arriver quand les intervenants sont précisément en dehors de l’Education nationale ?
Vous l’aurez compris, même en contexte de crise économique prononcée, l’argent peut couler à flots par force de besoin. Cela s’entend. En revanche, que l’ensemble de la profession ne soit pas revalorisé (et pas seulement les entrants) et que la transmission des savoirs échappe aux professionnels de l’éducation que nous sommes au bénéfice de personnels hors Education nationale, cela, nous ne pourrons jamais le cautionner.