«Management », ce fut l’un des premiers mots prononcés par Madame la députée RILHAC lors de notre première rencontre en 2019 dans le cadre d’une mission flash qui lui avait été confiée sur l’évolution du métier de directeur d’école. Le SNALC avait alors immédiatement et clairement affiché son opposition à la notion de management pour l’école.
Les fervents défenseurs du statut du directeur aiment à rappeler que par définition le directeur dirige et que les missions qu’il exerce s’inscrivent pleinement dans un emploi qui nécessiterait un cadre bien défini, ce que le SNALC ne peut réfuter. Mais pour beaucoup d’entre nous, les mots tels que « directeur », « chef d’établissement », « supérieur hiérarchique », ou encore « statut », « missions », « fonctions », « emploi » ou « management », ne sont que des mots relevant des mêmes champs lexicaux. Et si on s’arrête au sens premier de ces mots, utiliser l’un ou l’autre ne changera rien aux missions, aux difficultés et aux problématiques quotidiennes rencontrées par les directeurs et directrices d’école.
Mais derrière chaque mot se trouvent des réalités idéologiques, politiques et juridiques. Voilà où réside tout l’intérêt de discuter en haut lieu de la pertinence de mots qui, employés dans un article de texte de loi, pourraient imposer à court ou moyen terme des changements considérables dans le fonctionnement de l’École. La loi RILHAC, proposée en juin 2019 dans sa première mouture, avait suscité bon nombre d’amendements par les syndicats dont le SNALC qui avait malgré tout accueilli avec soulagement l’absence du mot statut. Cependant, dans la toute dernière version de mars 2021, le SNALC déplore le maintien, l’ajout ou la disparition de certains mots laissant la porte ouverte à de possibles répercussions négatives. Rien n’est encore fait mais ces modifications n’augurent rien de bon pour l’avenir de l’École.
Le mot « management » fait partie de ce vocabulaire que le SNALC ne souhaite pas voir apparaître. La pratique managériale utilisée en entreprise est étroitement liée aux notions de coûts et performances de production. La nécessité de rentabilité et la recherche du moindre coût ne peuvent échapper à la réalité de l’entreprise mais la pratique managériale peut et ne doit pas s’introduire (davantage) dans l’école.
Doit-on rappeler que les grands problèmes rencontrés aujourd’hui dans nos classes sont liés à des politiques qui ont fait passer les intérêts économiques avant l’éducation ? La technique est souvent la même, on induit l’opinion publique en erreur en dénonçant un problème par des données tronquées dans le seul but de justifier du bien-fondé d’une mesure qui permettra de remédier au problème. Un peu comme le font certains élèves qui utilisent habillement une figure géométrique fausse pour en déduire une règle fausse mais tellement cohérente que le correcteur en arrive à remettre en question son raisonnement. On peut ainsi faire dire aux chiffres et statistiques exactement ce qu’il faut, et en jouant sur les mots et les interprétations avec une utilisation contrôlée des médias, on arrive à duper l’opinion publique et parfois même les enseignants.
Les exemples sont nombreux et sont systématiquement liés à des intérêts économiques :
- « Le niveau des élèves a augmenté ! » comme le montre la flambée du taux de réussite au BAC depuis les années 90 (on a baissé le niveau d’exigence pour atteindre ce taux de réussite).
- « Il y a de moins en moins d’élèves en difficultés car Il y a de moins en moins de demandes d’intervention du RASED » (forcément, puisque depuis des années, on ferme les RASED, normal qu’il y ait de moins en moins de demandes !).
- « Les structures spécialisées n’ont plus lieu d’exister » car elles sont de moins en moins sollicitées (on a mis en place l’inclusion, ce qui forcément réduit les effectifs en structures spécialisées et certaines finissent par fermer)…
Dans le monde de l’entreprise, le « management » induit forcément des évaluations de la production mais également des évaluations des capacités de tous les employés et par conséquent la mise en place de stratégie et de choix à faire pour gagner en rentabilité. Si le management entre dans les murs de l’école par le biais du directeur d’école, cela changera bel et bien la donne et affectera profondément les rapports humains entre enseignants. Or, tout enseignant dans le premier degré sait à quel point le bon fonctionnement de l’École à tous les niveaux repose avant tout sur un relationnel fort entre pairs, absolument indispensable au sein de l’école. Que va-t-il se passer demain si pour des raisons de rentabilité un enseignant est évalué et n’obtient pas les résultats prévus ? Nous en sommes loin, direz-vous… Pas tant que ça, puisque dans l’académie de Bordeaux, des enseignantes de grande section de maternelle de REP et REP+, titulaires de leur poste depuis parfois quinze ans, risquent fort de le perdre prochainement, suite à la mise en place d’un entretien comparable à un entretien d’embauche… Autrement dit, elles seraient évaluées pour attester ou non de leur aptitude à enseigner dans leur classe mais avec moitié moins d’élèves…
Dans cette logique sélective et comptable, il n’est pas impossible qu’à l’avenir un manager vienne juger de notre efficacité, voire de notre aptitude à enseigner et que cela se fasse de façon totalement arbitraire. De la même manière, imaginez qu’un jour un inspecteur d’académie puisse choisir, par une simple appréciation, si oui ou non nous pouvons prétendre à la hors-classe… Et oui, vous l’avez compris avant même que la notion ne figure dans les textes, le management se pratique déjà et loin de toutes considérations humaines, il crée déjà des situations d’injustice et d’iniquité sans précédent. On pourra donc craindre le pire quand le terme « management » trouvera officiellement sa place dans les textes de loi…