Les projets de loi relatifs aux retraites ont été transmis aux organisations syndicales le soir du jeudi 9 décembre 2020, c’est-à-dire au moment même où le gouvernement prétendait qu’on avait encore la possibilité de négocier. La lecture des 141 pages du projet de loi et des 9 pages du projet de loi organique montre surtout que leur rédaction avait commencé bien avant les vacances de Noël. Pendant que certains pensaient qu’on pouvait encore discuter, concerter, négocier : il n’en était rien. Le secrétaire d’État a eu beau prétendre que le gouvernement était tenu par les délais réglementaires, il n’a convaincu personne. En outre, l’exposé des motifs commence par un ensemble d’affirmations parfaitement erronées.
Comment prétendre que « notre système de retraite reste injuste, complexe, peu lisible et plus que tout inadapté à la réalité de notre société » alors que chaque corporation, chaque catégorie, chaque profession connaît parfaitement son régime de retraite et qu’elle n’a nul besoin de connaître celui du voisin, si le sien lui convient ?
Comment prétendre que le gouvernement veut mettre en place « un système universel, juste, transparent, fiable » alors que la principale caractéristique du rapport Delevoye était le manque de justice, de transparence et pour tout dire tellement compliqué que plus personne n’y comprenait plus rien, pas même les ministres qui se contredisaient d’un entretien à l’autre ?
Comment oser mettre en avant les 42 régimes de retraite pour justifier le nouveau projet alors que la plupart ne concernent que des professions à faibles effectifs au point que le gouvernement a dû déjà accepter d’en conserver plusieurs sous la forme de «régimes particuliers» ?
Comment prétendre que ce projet permettra de rendre égale la retraite des femmes et des hommes, alors que dans la fonction publique, il n’y a justement pas de différence entre le calcul des pensions des femmes et celles des hommes ?
Comment oser écrire que la valeur d’acquisition de points ne pourra pas baisser sous prétexte qu’elle sera fixée par « les partenaires sociaux et le parlement » alors que nous avons connu en 2008 une terrible crise économique, que ce que décide une loi peut être modifié par une autre loi (cf. la loi de 2003 qui a augmenté la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension à taux plein ) et que les partenaires sociaux ont justement modifié tout ce qui concerne l’AGIRC et l’ARCCO, sous peine de faillite du système ?
Certes, parmi les motifs du projet, on nous fait miroiter que les mères de famille auront dès le 1er enfant une majoration de points de 5%, puis une nouvelle majoration de 5% pour le 2e, de 7% pour le 3e, mais pourquoi ne plus attribuer que 5% pour le 4e ? Croit-on qu’on nous fera oublier que du projet de texte disparaît la majoration d’ancienneté de 4 trimestres pour chaque enfant ?
Enfin, dans la fonction publique et en particulier dans l’Éducation nationale, où l’on n’entre qu’aux environs de 23 ans, il sera toujours nécessaire de travailler bien au-delà de l’âge légal de 62 ans dont on nous vante le maintien si l’on veut recevoir une pension d’un niveau suffisant. L’âge de 67 ans ne figure-t-il pas déjà dans la loi (loi Touraine) avec l’obligation de travailler pendant 172 trimestres, soit 43 années ? Preuve s’il en était besoin que chaque profession a ses particularités et que toute affirmation « universelle » se heurte immédiatement à sa contradiction.
Bref, les quatre premières pages de l’exposé des motifs laissent mal augurer de la suite.