Le concept de «bullshit job» a été popularisé par l’anthropologue américain David GRAEBER (1) dès 2013 : il s’agit d’un travail inutile ou néfaste dont la personne qui l’exerce ne peut justifier l’existence même si elle feint parfois d’en proclamer l’utilité.
Le SNALC, qui défend notamment le noble métier de professeur, s’est toutefois posé la question : avec une évolution tendant à l’augmentation régulière de tâches inutiles, l’Éducation nationale serait-elle en voie de «bullshitisation » ?
GRAEBER a quantifié ce phénomène et considère qu’aux États-Unis seul 37% du temps de travail de la plupart des employés de bureau est réellement consacré à leur véritable activité professionnelle. Le reste se partage entre réunions inutiles, établissement de statistiques du même acabit, paperasse… Il identifie la numérisation comme en étant la cause principale (outre le développement d’un encadrement managérial).
Il souligne également l’ineptie qui consiste à traduire des expériences qualitatives en informations quantitatives traitées par ordinateur. Cela ne vous dit rien ?
Avez-vous tenté, par exemple, de valider le socle commun au collège ? Après s’être connecté à son espace numérique de travail et avoir cliqué une bonne douzaine de fois, le professeur est invité à affubler des compétences au titre abscons d’une objective appréciation pour chacun des élèves. L’ensemble est synthétisé dans un merveilleux tableau rutilant de cases vertes (le plus souvent) ou rouges, permettant d’alimenter de très pertinentes études statistiques, de gloser sur tes taux de validation et de délivrer accessoirement de manière quasi-automatique le Brevet. Le SNALC y dénonce l’archétype d’une opération chronophage, inutile et absurde, effectuée au détriment de notre mission d’enseignement, et alimentant un sentiment de mal-être au travail.
« Nous passons de plus en plus de temps à rapporter, décrire ce que l’on fait et justifier de ce que l’on fera à l’avenir… au lieu de faire réellement ces choses.» constate notre auteur. Nous en sommes là. Incontestablement, l’Éducation nationale est en voie de «bullshitisation».
(1) BULLSHIT JOBS, David Graeber, 2018.