La lecture du rapport de la mission sur l’enseignement des mathématiques, confiée au chercheur VILLANI et à l’inspecteur général TOROSSIAN, est roborative. Il s’agit de 96 pages assez denses, qui ont le double objectif de donner une vision réaliste de la situation des mathématiques, de l’école maternelle au lycée, et de faire des propositions pour redresser la situation. (En téléchargement ici).
Et le moins que l’on puisse dire est que l’état des lieux est dépeint avec exactitude. Il est vrai que les dernières études internationales (TIMSS 2015 en particulier) ne permettent plus de se voiler la face. En vrac, on déplore le niveau trop fragile de beaucoup de professeurs des écoles, les difficultés d’enseignement devant des classes bien souvent agitées (trop brièvement sans doute, eu égard à l’impact colossal de ce problème sur les recrutements), la filière scientifique au niveau trop faible, les manuels qui laissent une trop grande place aux activités aux dépens d’un cours structuré, les théorèmes trop souvent admis sans le moindre début de preuve…
Enfin – à savourer car c’est presque révolutionnaire – les auteurs s’attaquent à «la multiplication des activités de toutes sortes» et au manque d’exercices répétitifs qui permettent pourtant de fixer les automatismes nécessaires dans l’esprit des élèves. Je cite : «Il faut absolument retrouver un équilibre essentiel à la réussite des élèves et cela vaut pour tout le cursus jusqu’à la terminale. S’il est exclu de limiter la formation des élèves à l’entrainement au calcul, sa fréquentation trop rare rend inaccessible à beaucoup la pratique de résolution de problèmes, dès lors que le moindre calcul fait obstacle.»
Que ce rapport officiel reconnaisse que leurs difficultés en calcul sont un obstacle majeur aux progrès des élèves suffit déjà à en faire un premier pas dans la voie du redressement. Mais, ce n’est pas tout. En effet, 21 mesures et 32 recommandations sont proposées. Et même si certaines sont discutables, elles ont le mérite d’exister.
Pour le premier degré, on s’appuie intelligemment sur la méthode de Singapour, sans plaider pour son application rigide, en dehors de son contexte culturel confucianiste. On n’oublie pas non plus que nous disposons déjà en France d’une méthode aussi efficace que celle de Singapour, et qui ne demande qu’à être largement répandue, celle du GRIP, mise en œuvre dans les classes SLECC. Le rapport propose d’ailleurs de l’expérimenter enfin à grande échelle, dans plusieurs centaines de classes.
On invite aussi notre institution à former généreusement les professeurs des écoles. C’est indispensable puisque «un tiers des professeurs des écoles déclare ne pas aimer enseigner les mathématiques. » Et nombre d’élèves entrant en sixième ont déjà décidé qu’ils étaient «nuls en maths» alors qu’ils n’ont jamais rien vu des mathématiques que leur application à des situations concrètes. Il serait d’ailleurs bon que le mot mathématiques ne soit pas employé dans le premier degré ; calcul et mesure, par exemple, suffiraient amplement à décrire les notions abordées.
Pour le second degré, on prend légitimement en compte le statut très particulier de la discipline. C’est en effet celle qui pose le plus de difficultés aux élèves par sa nature «extrêmement incrémentale», tout en demeurant celle qui possède le plus grand poids symbolique notamment car elle est la clef «pour accéder aux études et aux écoles les plus recherchées.»
Enfin, on plaide pour une clarification des exigences et une plus grande cohérence des programmes, en lien notamment avec les sciences physiques. C’est aller à rebours des dernières réformes du lycée, et s’inscrire totalement contre la dernière réforme du collège qui, par ses programmes par cycle, a complètement déstructuré les progressions dans toutes les disciplines. Ainsi, «les systèmes qui ont les meilleurs résultats» ont pour caractéristique «la définition précise des prérequis, essentiellement annuels». On évoque aussi la création d’une vraie voie scientifique comportant «sept à huit heures [de maths] en première, huit à neuf heures en terminale.» Une phrase résume l’esprit des auteurs : «On ne développe des compétences solides qu’en s’appuyant sur des connaissances solides.»
Le reste du rapport nous semble plus faible et plus convenu. On fait grand cas du périscolaire – concours Kangourou, Irem, clubs de maths -, on évoque les «mathématiques citoyennes», l’enseignement par le jeu, on parle de barycentre (disparu en 2012), de calcul vectoriel (réduit à presque rien), de travail en équipe (comme si cela n’existait pas déjà), et enfin on voudrait mettre de l’informatique partout – nouvelle économie et intelligence artificielle obligent… Bref, le fond de sauce soi-disant progressiste habituel, qui se marie hélas assez mal avec l’essentiel du rapport.
Malgré cela, si l’on mettait en application les principales propositions de cette mission, nous pourrions enfin conclure, et nos élèves avec nous : vivent les Maths !