Les effets d’annonce sont quotidiens en 2022. Et l’un des plus prisés est sans conteste la promesse de revalorisation salariale. La dernière en date serait de l’ordre de l’« historique », dépassant tout ce qui a été fait jusqu’alors… Réellement ?
Une hausse historique ?
Gabriel Attal, le Ministre des Comptes Publics, a précisé dans une interview accordée aux Echos le 8 août 2022 que le budget 2023 pour l’État serait de 339 milliards d’euros, ce qui occasionnerait pour les ministères de l’Éducation nationale, du Travail et des Solidarités une hausse de 12,5 milliards d’euros, soit une augmentation budgétaire qualifiée d’inédite de 11,4%. Cela se traduirait, pour la seule Éducation nationale, par une « hausse historique » et « sans précédent » des crédits de l’ordre de 3,6 milliards d’euros. Ainsi, le projet de loi de finances prévoit de faire passer le budget de 56,5 milliards d’euros de 2022 à 60,2 milliards en 2023. Et cela serait utilisé pour augmenter le salaire des enseignants…
On se calme. Rappelez-vous ce qu’il avait annoncé précédemment :« l’engagement du président de la République de la poursuite de la hausse des salaires sera tenu et aucun enseignant n’entrera dans la carrière à moins de 2 000 euros nets. » Autrement dit : les enseignants en poste n’en verront probablement pas la couleur. Mais, allez-vous me dire : le traitement d’un débutant ne peut pas dépasser celui d’un professeur des écoles en poste depuis des années ? Effectivement. Sauf que le salaire des débutants pourrait être constitué d’un traitement inférieur aux professeurs des écoles en poste, auquel s’ajouteraient des primes pour arriver aux alentours des 2000 euros. Joli tour de passe-passe pour ne pas sortir du cadre légal en ne revalorisant que les débutants à des fins d’attractivité, en ces temps de pénurie du recrutement.
Encore une fois, il s’agit donc là d’un effet d’annonce que l’on ne peut que mettre en perspective avec les difficultés de recrutement traversées par la profession.
Sans précédent. Vraiment ?
Si l’augmentation est significative, l’histoire aurait tendance à prouver que ce n’est pas un cas isolé. Tout ceci est bien sûr à rattacher à la valeur du PIB à une époque donnée afin d’analyser les faits avec pertinence et impartialité. Pour exemple, entre 1988 et 1991, le budget de l’Éducation nationale était alors passé de 6,6 % à 7,6 % durant ces 3 années, ce qui représentait une augmentation de 0,3 % par an. Or, en 2023, cela représenterait seulement 0,16% du PIB. C’est la moitié de ce qui s’était passé à l’époque sur 3 années d’affilée ! Cela renvoie dans les cordes le « sans précédent ». Mais la formule, si elle est erronée, reste pour autant séduisante en cette époque où seule prime la communication aux médias et où la réécriture de l’histoire séduit ceux qui ne se documentent pas.
Un prêté pour un rendu
Alors oui, le gouvernement de l’époque avait tenté de remanier les missions des enseignants. Ces derniers avaient manifesté leur mécontentement et avaient alors été écoutés. Car à l’époque où le passage en force n’était pas systématisé, le gouvernement écoutait les enseignants. Il en avait résulté une augmentation salariale sans contrepartie. De nos jours, on sait bien que ce qui est apparemment donné est en réalité tronqué. Et ce n’est pas toujours équitable pour la profession, loin s’en faut car pour les professeurs des écoles en poste, ce n’est pas la même musique et l’attractivité n’est pas cultivée.
Si pour Gabriel Attal les 3,6 milliards injectés vont « permettre de poursuivre et d’amplifier la revalorisation des rémunérations des personnels enseignants dès la rentrée 2023», la finalité de cette augmentation est tout autre. Et c’est affiché avec transparence, aucun complexe n’étant plus de mise, le véritable dessein étant « d’engager l’accompagnement du pacte pour les enseignants ». Ah, le pacte… Une fois signé, plus de retour en arrière. Nouvelles missions, nouvelles contraintes.
Le Président de la République a d’ailleurs enfoncé le clou en écrivant aux enseignants le 16 septembre :
« Le salaire des enseignants aura ainsi augmenté d’environ 10% et aucun professeur ne débutera sa carrière à moins de 2 000 euros nets à compter de la rentrée 2023. À cette revalorisation générale et inconditionnelle sont susceptibles de s’ajouter des augmentations plus importantes encore dans le cadre du pacte que nous vous proposons. Tous les enseignants qui le souhaitent pourront en effet s’engager dans des missions supplémentaires, par exemple du remplacement, du suivi individualisé, de l’accompagnement à l’orientation ou à l’insertion professionnelle ou des tâches de coordination. Ce travail, que beaucoup d’entre vous accomplissent déjà, sera désormais reconnu et rémunéré. L’augmentation du salaire des enseignants qui accepteront ce pacte pourra ainsi aller jusqu’à 20%. »
Un pacte avec le diable. Pour une poignée de dollars.