En 2015, le maire Les Républicains de Chalon-sur-Saône décide du retrait des menus alternatifs les jours où du porc est servi dans les cantines scolaires. Le juge des référés précise que la restauration scolaire «doit en principe pouvoir être utilisé par tous les parents qui désirent y placer leurs enfants» et que la gestion des cantines ne doit pas aboutir «de fait, à priver certaines catégories de famille de la possibilité d’y accéder pour des considérations liées à leurs opinions religieuses. ». Dans un communiqué de presse du mardi 17 mars 2015, l’Observatoire de la laïcité rappelle que «si aucune obligation ne contraint la commune dans le cadre d’un service, (…) la laïcité ne saurait être invoquée pour refuser la diversité de menus». En effet, son guide «Laïcité et collectivités locales» rappelle que les cantines scolaires proposent généralement une diversité de menus, avec ou sans viande. Celui-ci précise : «cette offre de choix ne répond pas à des prescriptions religieuses mais à la possibilité pour chacun de manger ou non de la viande tout en empêchant la stigmatisation d’élèves selon leurs convictions personnelles».
Le statut de l’enseignement privé (très majoritairement assuré par des établissements liés à l’Église catholique) et notamment son financement par l’impôt, reste également un sujet délicat. Jusqu’à une époque récente, ce sujet a été l’objet de vifs débats entre les tenants du monopole de l’enseignement public et les défenseurs de l’école libre, qui considèrent la liberté d’enseignement comme une conséquence naturelle des libertés de conscience, d’expression et d’association.
DEUX CONCEPTIONS OPPOSÉES
En filagrane de ces débats se pose également la question de la place de l’Islam en France. La deuxième religion des Français, quasi inexistante dans la France de 1905, ne fait en effet pas à l’origine, comme ce fut longtemps également le cas pour la religion catholique, de distinction entre le profane et le sacré : le calife est à la fois un chef religieux et politique et, par ses interdits alimentaires ou vestimentaires, elle s’immisce de facto dans l’espace public. Elle s’oppose ainsi à la sécularisation progressive de la société entamée avec la Révolution française qui consiste en la récupération par la société civile des actes autrefois tenus par les religions (ex tenue de l’Etat civil, mariage etc.). Cette dernière n’implique pas de changer de norme quant aux croyances et convictions, mais se trouve en harmonie avec la neutralité de l’État.
La laïcité comme excluant les religions de l’espace public n’a en fait jamais été appliquée en France. C’est même impossible puisque ce serait en contradiction avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle notre droit est soumis. Il n’est donc pas vrai qu’on a le choix qu’entre vouloir «neutraliser» cet espace commun ou considérer que la laïcité est la simple neutralité de l’État. Entre les deux, il y a la voie médiane appliquée dans notre droit qui est la séparation et la neutralité de l’État. Dans ce cadre, le citoyen est simplement soumis au respect de la loi et de l’ordre public. Notre droit peut apporter des restrictions supplémentaires à sa liberté de manifester sa croyance ou sa conviction pour des raisons de sécurité, sanitaires, etc. (cf art. 10 suscité) ou relevant de l’ordre public.
Au total ces exemples montrent bien toutes les ambiguïtés du discours sur la laïcité : outre des ambiguïtés originelles (existence d’aumôneries dans les lycées, les prisons ou les armées) ou historiques (maintien du Concordat en Alsace-Lorraine et Guyane), s’opposent en fait deux conceptions fondamentales : l’une qui vise à une sécularisation de l’espace public considérant la religion comme relevant exclusivement du domaine privé, et une autre qui s’estime plus fidèle à l’esprit de la loi de 1905 et considère qu’elle se limite à garantir la neutralité de l’État vis-à-vis des religions. On notera que ces deux conceptions divergentes transcendent le clivage gauche-droite. Pour sa part le SNALC, seul syndicat enseignant à avoir approuvé la loi de 2004, demeure attaché à la première, demandant par exemple que la loi de 1905 s’applique également dans l’enseignement supérieur public.
Pour aller plus loin : Martine Cerf et Marc Horwitz, Dictionnaire de la laïcité, Armand Colin, Paris , 2016.