États généraux du numérique : où est le tiers état ?

Le compte rendu du SNALC

Le premier jour des états généraux du numérique aura vu se succéder une foule d’interlocuteurs tous plus passionnants les uns que les autres.

L’UNESCO s’exprima, suivi du secrétaire général de l’OCDE, suivi lui-même d’un membre du Conseil de l’Europe. Car ils sont « les grands témoins » du futur du numérique dans l’enseignement. Ne riez pas. Non, vraiment. Ne riez pas. Attendez au moins quelques lignes.

Un propos fut particulièrement marquant. Il fut prononcé par le secrétaire général de l’OCDE. Vous savez, l’organisme qui évalue les systèmes éducatifs à travers PISA. En substance, ce brave homme nous expliqua que dans les pays où il y a eu un investissement massif dans le numérique à l’école, les résultats au test PISA ont baissé. Ils sont même moins bons que dans les pays où l’on n’utilise pas le numérique. Jusque-là, le SNALC ne fut pas étonné. Mais la conclusion tirée par cet homme d’importance est que cela est dû au manque de formation des enseignants qui n’ont pas su tirer profit de cette nouvelle technologie.

On le voit : très tôt dans ces états généraux, la barre était placée à une hauteur impressionnante.

Après ces témoignages, les débats s’ouvraient sur les cinq axes de réflexion des états généraux.

Et le premier débatteur à s’exprimer – seul, ce qui est fâcheux dans ce genre d’exercice – fut Stanislas DEHAENE. Le sieur est brillant et était parfaitement indiqué pour parler des apports de la recherche dans le numérique.

Après avoir expliqué que le numérique en soi n’était pas un apport dans l’acte d’enseigner, il montra que des applications et logiciels bien conçus pouvaient avoir un impact positif. Et, en effet, ceux qu’il présenta étaient intéressants dans l’apprentissage de la lecture ou des bases des mathématiques.

Le Hic, direz-vous ? Car il y a un hic. Les applications qu’il a développées sont basées sur les mêmes mécanismes cognitifs que le jeu des petits chevaux ou celui que l’on appelait jadis le compte est bon, populaire lorsque l’émission Des chiffres et des lettres l’était encore. Oui, vous avez bien lu. Des applications à utiliser en classe, en école primaire, seront là pour remplacer des jeux de sociétés qui étaient pratiqués à la maison. En famille. Et cela se fera grâce à un investissement pour que chaque classe de primaire, ou à défaut chaque école primaire, dispose de dix tablettes, qui seront en priorité prêtées aux enfants les plus défavorisés ou qui pourront être utilisées par un élève au fond de la classe, dans un espace dédié, sans déranger le reste de la classe pendant que l’enseignant utilisera une pédagogie explicite. M. DEHAENE expliqua qu’il fallait simplement mieux former les enseignants pour que cela soit efficace.

Les débats s’enchaînèrent ensuite sans que jamais contradiction n’émergeât. Une fois, on crut que cela allait se produire. Le présentateur des états généraux annonça au directeur du CNED, prônant, lui, la confiance dans les solutions numériques, que le cofondateur de Playbac considérait que la distribution massive d’outils numériques pouvait être inquiétante. Mais, en réalité, la peur qu’il avait exprimé en off concernait les parents et les enseignants : peur que le matériel soit détérioré ou qu’il ne serve à d’autres usages que pédagogiques. Lui avait entièrement confiance et voulait que tous les acteurs de l’éducation nationale soient aussi confiants que lui. Pour cela, il fallait simplement mieux informer et mieux former les professeurs et les parents.

En fait, quels que soient les sujets abordés, la conclusion fut immanquablement la même. Il fallait, il faut, il faudra mieux former les enseignants.

Bien sûr, l’on n’oublia pas d’utiliser les concepts à la mode. Et le SNALC put entendre que l’intelligence artificielle allait permettre de rendre l’école plus inclusive. Ensuite, nous entendîmes que le numérique allait changer le pilotage des établissements en créant une synergie entre l’inspection et les chefs d’établissement et en mettant moins de verticalité dans les rapports de ces derniers avec leurs enseignants. On allait trouver un esprit de start-up dans les écoles, collèges et lycées. Et bien sûr, l’importance de la féminisation du numérique fut mentionnée.

Tout ceci n’est qu’un florilège de ce que nous entendîmes, entre des moments de complicité, de tendresse presque et d’autres passages plus drôles, magistralement menés par un présentateur en verve, sorte de monsieur loyal de ce grand spectacle.

Ensuite vinrent les ateliers de synthèse. Le SNALC avait choisi de participer à deux ateliers. Mais il ne put, à cause d’une erreur dans l’organisation, être présent que dans celui qui concernait le thème : Enseigner et apprendre avec le numérique. Nous fîmes contre mauvaise fortune bon cœur car le thème était alléchant et nous avions bien des choses à en dire, en somme.

Enfin, c’était le cas, jusqu’à ce que nous lussions le sous-titre que les organisateurs avaient décidé d’ajouter à l’atelier : Les apports de la recherche en éducation et en information. Cela restreignait largement le champ de la discussion. Et en fait de discussion nous eûmes droit à 10 propositions clés en mains, toutes un tantinet technocratiques. Notre rôle consista à dégager nos trois préférées puis à proposer des idées pour les mettre en œuvre. Évidemment, nous tentâmes d’interroger le bienfondé de ces propositions qui visaient essentiellement à créer du lien entre les chercheurs et les enseignants. Mais c’était peine perdue. Et les trois propositions retenues par l’atelier furent :

  • Favoriser les projets associant chercheurs et enseignants pour une conception collaborative d’outils adaptés aux besoins de la communauté éducative et une analyse de leurs usages.
  • Soutenir les travaux de recherche participative.
  • Lier « sciences et pratiques » dans l’enseignement.

Chaque atelier devait donc retenir dans un panel de propositions – établies par des spécialistes, alors qu’on aurait pu supposer qu’elles seraient des synthèses de celles déposées sur le site par des enseignants et d’autres membres de la fameuse communauté éducative – pour qu’elles soient présentées au ministre lorsqu’il viendrait clore les états généraux.

Ainsi se déroulèrent des états généraux où en plénière l’on entendit de grands scientifiques, des représentants de grandes administrations françaises et internationales, des représentants de grands partenaires privés, alternatives aux GAFAM. Le spectacle fut haletant n’en doutez pas. Et que toute cette noblesse était belle à voir et à entendre. D’ailleurs, était-ce la noblesse ou le clergé que nous pûmes admirer ainsi ? Au final, on ne saurait le dire car tous présentaient comme des archiducs mais prêchaient avec la ferveur d’archidiacres.

Par contre, à part le SNALC et quelques pauvres hères errant dans les ateliers, l’on ne vit pas beaucoup le tiers état et l’on n’entendit encore moins ses doléances.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *