Le cassage en force

Quand on est professeur des écoles, le métier est omniprésent dans notre vie, dans nos pensées, chaque jour de l’année y compris le week-end et les vacances. Notre métier empiète d’ailleurs de plus en plus sur notre vie privée. Entre les obligations institutionnelles pour répondre aux besoins ou aux caprices de notre ministère et notre conscience professionnelle pour apporter le maximum à tous nos élèves, nous en arrivons même parfois malgré nous à privilégier le travail à la famille, en prenant de moins en moins de temps pour nos propres enfants.

Malgré un environnement privilégié avec un ou des parents enseignants conscients de la nécessité de la réussite scolaire de leurs enfants, on constate au travers des lacunes, réactions et angoisses de ces derniers à quel point l’école telle qu’elle est devenue est démotivante pour les élèves, mais pas seulement.

Pourtant, c’est bien le rôle de l’école et de l’enseignant que de donner envie aux élèves. Mais voilà, l’Éducation nationale démotive de nombreux enseignants depuis quelques décennies et chaque année, tout est fait pour démotiver davantage de collègues, et ce, de plus en plus tôt dans le métier. L’impact sur la réussite scolaire est indéniable. Aussi, si l’intérêt des élèves était réellement la préoccupation première de notre ministère, il mettrait tout en œuvre pour redonner aux enseignants le goût du métier, le plaisir d’enseigner. Mais non. Vers 40 ans, bon nombre d’enseignants sont déjà cassés par le métier tel qu’il est devenu. Alors, que penser quand, par un passage en force, on veut nous imposer de travailler plus longtemps ?

La démotivation du professeur, c’est le résultat d’une remise en question permanente de son métier, de son rôle, de ses méthodes et de sa capacité à exercer correctement. Alors qu’il travaille toujours plus, avec toujours plus de contraintes, tout est fait pour lui faire comprendre à quel point il est « mauvais ».

Cela en devient irritant d’entendre notre ministre dire que l’enseignant est extraordinaire, merveilleux et impliqué. Car dans les faits, le professeur des écoles n’est pas méritant pour l’institution. Il ne mérite pas d’être mieux payé, ni d’être soutenu par la hiérarchie. D’ailleurs, en cas de problème, il est systématiquement présumé coupable. Et si par ailleurs le poids de cette « culpabilité » induit des problèmes de santé, il ne mérite même pas une médecine du travail. En termes de pédagogie, l’enseignant est jugé responsable des résultats décevants relevés par les enquêtes internationales. Il doit, de fait, suivre plus de formations notamment en mathématiques et en français, tout en assurant la gestion d’une classe où s’accumulent les difficultés. Malgré la fatigue d’un métier de plus en plus chronophage, on lui imposera très certainement de retravailler tous les mercredis matin, voire les mercredis après-midi, dans le but de pouvoir contribuer au rattrapage du faible niveau des élèves de sixième (dont il est aussi responsable, bien sûr). Comme si cela ne suffisait pas, on saura lui imposer des évaluations d’école et une école « qu’on fait ensemble ». On saura remettre en question sa liberté pédagogique et on le poussera à travailler sur des projets qu’il montera avec son équipe dans des réunions au-delà des 108 h.

Pour couronner le tout, après avoir respecté et obéi aux injonctions des années durant, on saura remercier les enseignants avec une appréciation professionnelle généralement très décevante, un couperet de mépris supplémentaire retardant un peu plus l’accès à la hors-classe.

Voilà ce qu’est la réalité. Si l’école en est là, c’est que tout cela nous a fait perdre le fil, perdre le cap, perdre l’envie. Tout donne l’impression qu’il y a une incontestable volonté de démotiver tous les professeurs des écoles, y compris les plus motivés.

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