Manuels de lecture obligatoires : voie imposée ?

Telle une chandelle qu’on mouche, la possibilité de choisir sa méthode de lecture pour sa classe est soufflée par notre ministre qui passe un cap et a commencé à tester, quitte à être détesté, un manuel officiel, entravant ouvertement la liberté pédagogique si chère au SNALC. Les professeurs des écoles restent sans voix.

L’Education nationale a lancé l’expérimentation de son propre manuel de lecture dans dix départements

Cette doctrine normative a commencé à s’implanter en 2020 avant de s’étendre à l’ensemble du territoire. Étonnant quand on sait que notre ministre, auditionné le 8 novembre 2017 par la commission des finances du Sénat, avançait : « Il n’est pas logique que le ministère de l’Éducation nationale finance les manuels scolaires des collèges alors que pour les autres niveaux, écoles et lycées, cela relève des communes et des régions. D’un point de vue cartésien, rien ne justifie cette exception. » Il n’avait pas manqué de contredire « l’insuffisance » du budget 2018 dédié aux manuels : 16 millions d’euros, contre 210 millions les deux années précédentes, générosité due à un « accompagnement normal avec les changements des programmes », façon de le justifier alors. Puis d’insister, de façon prédictive, sur l’impérieuse nécessité de mener « une réflexion structurelle » au sujet des manuels scolaires.
Décidant d’emprunter la voie de la facilité et s’affranchissant de la consultation et de l’expérimentation préalables, il propose l’ouvrage en CP. En 2018, le guide orange Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP, rédigé sous la houlette du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, le conforte dans son intention d’écrire une nouvelle page du débat sur les méthodes de lecture et ceci sans validation par une quelconque expérimentation. Il affirmait que « L’idée n’est pas d’homogénéiser les pratiques mais de créer une référence commune. » Néanmoins, cela ressemble fort à une standardisation. Depuis, les méthodes imposées au nom de pédagogies novatrices prennent d’assaut les écoles des circonscriptions les plus zélées, la syllabique pure étant imposée plus que proposée à des volontaires désignés d’office.

Ne plus avoir voix au chapitre

Les enseignants de CP n’ont décidément pas voix au chapitre tant leur avis est minoré par notre ministre. Si Jules Ferry et Ferdinand Buisson ont instauré une « liberté pédagogique » que nous croyions acquise, Jean-Michel Blanquer trace la voie d’une pédagogie édictée pour les enseignants. Ministre de la République ou despote mal avisé ? La liberté pédagogique conduit à l’innovation, au libre arbitre. Imposer une méthode revient à fragiliser la profession aux yeux de l’opinion publique. Privés de pouvoir décisionnel dans leurs pratiques, les enseignants ne seraient plus cadres mais juste techniciens et exécutants. Difficile alors de leur accorder le crédit de l’expertise une fois réduits aux tâches mécaniques. Encore une stratégie disruptive de la reconnaissance des savoirs des enseignants. L’efficacité de la méthode sera évaluée par un laboratoire de recherche encore inconnu (un appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été lancé). Nous avons la faiblesse de penser que les conclusions attendues courant 2021 ne surprendront probablement personne et que la méthode sera scientifiquement validée avec partialité.

« Voix » sans issue

Voie sans issue pour la liberté pédagogique, voix sans issue pour les professeurs des écoles. Le dispositif expérimental ne tardera pas à être généralisé, n’en doutons pas un instant, par le ministre du monologue et du passage en force qui ne s’est pas privé d’affirmer que « L’idée n’est pas d’homogénéiser les pratiques mais de créer une référence commune ». Même si cette méthode n’est pas obligatoire sensu stricto, il pourrait y avoir le manuel officiel et les autres. On imagine pour quelle méthode, à l’exclusion de toute autre, se positionneront les IEN porteurs de la bonne parole. Et les parents qui ont voix au chapitre auront leur mot à dire.
De plus, l’octroi de monopole nous semble plus économique que pédagogique. À qui profite le crime ? Qui tirera les bénéfices financiers d’une série de manuels généralisés à un pays entier ? L’enjeu économique nous laisse sans voix. Nous ne pouvons accepter de prendre la voie de la privation du droit à la liberté pédagogique et du déni de notre compétence dans le choix de notre pédagogie : c’est une voie sans issue.

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