Transformation de la fonction publique : l’avis du SNALC

Loi n°2019-828 du 6 août 2019
DÉGRADATION DE LA FONCTION PUBLIQUE

Moins de six mois se sont écoulés entre la présentation des grandes lignes du projet en février au CCFP et la signature du texte de loi par notre président en vacances au fort de Brégançon le 6 août 2019 : c’est dire, sinon le zèle, du moins l’urgence dont ont fait preuve nos gouvernants pour transformer la fonction publique. Et peu importe que le projet ne recueillît pas l’unanimité, y compris parmi les représentants de l’État employeur, et qu’il fût rejeté par tous les syndicats du CCFP dès le 15 mars.

Prétendument motivée par le souci de la reconnaissance due aux agents si « attachés aux valeurs du service public » et leurs perspectives d’évolution, présentée comme la promesse d’une fonction publique redevenue attractive où les conditions de travail seraient enfin sérieusement améliorées, cette loi de transformation est arrivée comme un uppercut dans les statuts et les droits des fonctionnaires.

Disparition des instances de dialogue social ou réduction à leur plus simple expression – au sens propre -, contractualisation sans limite et précarisation, prise en compte des résultats dans la rémunération, remise en cause du temps de travail, durcissement de l’autorité et du régime des sanctions, recours aux ordonnances… au-delà de ce programme, cette loi comporte aussi, notamment dans son titre cinq, des évolutions attendues sur l’égalité professionnelle noyées dans un projet globalement pernicieux.

Le SNALC dénonce avec colère la méthode qui consiste à tenir un simulacre de dialogue social et à présenter comme une transformation salutaire pour tous quelques mesures en faveur de l’égalité au milieu de brutales régressions sur des décennies d’acquis sociaux.

FUSION DES CT ET DES CHSCT

Lors des prochaines élections professionnelles de 2022, comités techniques (CT) et comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fusionneront dans une nouvelle instance appelée « comité social d’administration » comportant en son sein une « formation spécialisée » traitant des questions de l’actuel CHSCT.

L’avis du SNALC
La disparition de deux instances fondamentales de représentation des droits des personnels, CT et CHSCT, en une entité globale fourre-tout permettrait, selon les législateurs, de « garantir » une « meilleure protection des agents ». On n’est plus à une contradiction près.

Supprimer l’instance qui était spécifiquement prévue pour l’examen des conditions de travail à l’heure où celles-ci n’ont jamais été aussi dégradées est une curieuse façon de « garantir la protection des agents ». Et d’une façon plus générale, remplacer des instances de proximité par une instance plus large et surtout plus éloignée des réalités et des personnels ne permettra pas d’apporter une meilleure attention mais crée clairement une distance entre cette nouvelle instance et les préoccupations de terrain. Le SNALC y voit une manœuvre qui vise surtout à réduire le coût autant que le champ d’action de l’exercice syndical et de la défense des personnels.

NOUVELLES CAP ET PRÉROGATIVES DES ÉLUS

Jusque-là, c’est l’État qui procédait aux promotions et aux mouvements des fonctionnaires « après avis des commissions administratives paritaires » (CAP). La loi de transformation supprime cet avis et précise que seule l’administration procède à ces opérations, définissant même pour fluidifier ou stabiliser certains emplois des durées minimales et maximales d’occupation. Les CAP ne seront consultées que dans les cas de recours. En outre, en harmonie dans les trois fonctions publiques, les CAP seront désormais distinctes par catégories hiérarchiques (A, B et C), et non plus par corps. Chaque catégorie pourra comprendre des groupes hiérarchiques et des sous-groupes.

L’avis du SNALC
Le titre premier : « Promouvoir un dialogue social plus stratégique et efficace dans le respect des garanties des agents publics » comporte essentiellement des articles qui entérinent au contraire la suppression de la plupart des instances où l’on veillait au respect de ces garanties. Comment peut-on prétendre que la fin des échanges avec les syndicats permettra de promouvoir le dialogue social ? Le SNALC dénonce ici l’ironie et le mépris d’un gouvernement qui pratique l’antiphrase jusqu’à l’absurde, prétend simplifier en faisant disparaître, prétend respecter ceux dont il supprime les droits, prétend écouter celui qu’il condamne au silence.

Les commissaires paritaires ont été élus par les personnels pour représenter et défendre leurs intérêts. Ce rôle s’exerce en particulier lors des CAP où les élus repèrent et font rectifier de nombreuses erreurs et anomalies. Au-delà de ces interventions qui garantissent l’égalité de traitement entre les candidats, leur travail en CAP permet aussi d’éviter un traitement automatisé par un algorithme, avec la prise en compte de la dimension humaine et des spécificités propres à certains cas. Dès lors, comment peut-on parler « d’efficacité stratégique » telle qu’évoquée par le gouvernement pour justifier cette réforme qui interdit désormais ce travail des élus en commission ? L’Éducation nationale est réputée pour son incapacité et sa déficience en matière de gestion des RH : on est certain désormais qu’elle ne s’améliorera plus.

Le SNALC dénonce cette opacité dans le traitement des droits des personnels. Sans l’intervention des commissaires élus, l’arbitraire prendra le pas sur l’arbitrage. Le SNALC prévoit aussi un engorgement des CAP de recours et des saisies du TA, seules possibilités pour les agents de s’assurer qu’ils n’ont pas été privés de leur droit et de contester les décisions qui auront été prises dans une totale opacité.

Prétendant « simplifier » les instances pour un dialogue social « plus stratégique », le gouvernement aurait pu s’interroger sur l’utilité et la pertinence d’autres commissions telles que les CDEN et CAEN. Mais il est vrai que dans ces commissions siègent les parents d’élèves. Il s’agit donc réellement et exclusivement de limiter les droits et possibilités de recours des agents. Pour le SNALC, c’est une attaque contre les statuts des fonctionnaires.

NOUVEAU RÉGIME DE SANCTION

Une exclusion temporaire de trois jours peut être désormais prononcée par l’autorité sans être soumise à l’examen des CAP (sanctions du 1er groupe) et sera inscrite dans le dossier du fonctionnaire.

L’avis du SNALC
Actuellement le premier groupe de sanctions comporte uniquement l’avertissement et le blâme. Ces sanctions ne nécessitent pas l’avis de la CAP et sont effacées du dossier de l’agent au bout de 3 ans. Les sanctions du second groupe sont la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement d’échelon, l’exclusion temporaire jusqu’à 15 jours et le déplacement d’office. Loin d’être une « simplification » comme l’annonce le gouvernement, cette réforme permet d’accroître la possibilité de sanctionner un collègue, sans que celui- ci n’ait eu connaissance du motif de la procédure disciplinaire avant la notification de la décision. Le SNALC dénonce ici un renforcement du caractère autoritaire exercé à l’égard des agents, et ne peut s’empêcher de rapprocher cette nouvelle mesure de celle qui stigmatise l’exemplarité des enseignants dans l’article 1 de la Loi Blanquer.

RECOURS AUX CONTRACTUELS

Actuellement, les contractuels peuvent être recrutés s’il n’existe pas de « corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes » et « pour les emplois du niveau de la catégorie A lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient ». La loi fait tomber désormais ces contraintes en élargissant le recrutement des contractuels dans toutes les catégories, éventuellement directement en CDI lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient, notamment

  • lorsqu’il s’agit de fonctions nécessitant des compétences techniques spécialisées ou nouvelles,
  • lorsque l’autorité de recrutement n’est pas en mesure de pourvoir l’emploi par un fonctionnaire présentant l’expertise ou l’expérience professionnelle adaptée aux missions à accomplir
  • et en enfin lorsque les fonctions ne nécessitent pas une formation initiale donnant lieu à la titularisation de l’agent

Elle prévoit aussi l’ouverture des postes de direction (DASEN, Personnels de direction…) aux contractuels.

En outre, il est créé un contrat de projet d’une durée minimale d’un an et maximale de six années visant à mener un projet à sa réalisation.

Enfin, la rémunération des contractuels, sera déterminée selon les fonctions exercées, la qualification requise pour l’exercice et l’expérience de l’agent mais pourra aussi tenir compte de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du service.

L’avis du SNALC
Le gouvernement juge la transformation de la fonction publique indispensable pour réduire la dépense publique et améliorer Faction de l’État. Le recours accru aux contractuels permettra indéniablement d’atteindre le premier objectif. Mais comment peut-il soutenir qu’une généralisation de la contractualisation augmentera la qualité des services publics ? Comment des agents aux rémunérations modestes et discontinues, souvent à temps incomplet et insuffisamment formés, contraints à la mobilité, sans perspective d’avenir pourraient-ils être plus investis et efficaces que des fonctionnaires ? Le SNALC n’est pas dupe. La finalité gouvernementale est bien la réduction drastique du nombre de titulaires et l’explosion des effectifs de contractuels dans les trois versants de la fonction publique, sans amélioration de la situation de l’immense majorité de ces travailleurs précaires et de nos services publics. Par conséquent, le SNALC fera tout pour s’opposer à l’adoption de ce projet de loi.

MOBILITÉS ET RUPTURES CONVENTIONNELLES

Pour favoriser la mobilité des fonctionnaires, la loi prévoit la portabilité des CDl entre les trois versants de la fonction publique, sans la garantir toutefois. En cas de restructuration, la loi renforce le dispositif d’accompagnement avec la mise en place logique d’une priorité géographique de mutation ou de détachement, d’un congé de transition professionnelle et d’une mise à disposition auprès d’organisations ou d’entreprises privées, avec le versement d’une indemnité de départ volontaire (IDV). Si l’activité du fonctionnaire est externalisée dans le privé, celui-ci est alors détaché d’office sur un CDl auprès de l’organisme d’accueil. Si le cas était peu courant dans l’Education nationale, cette possibilité est désormais organisée.

Pour les contractuels, un dispositif de rupture conventionnelle pour les CDl donnera lieu au versement d’une indemnité. À titre expérimental entre 2020 et 2025, un dispositif de rupture conventionnelle est mis en place pour les fonctionnaires (hors stagiaires), prévoyant le versement d’une l’allocation de retour à l’emploi.

L’avis du SNALC
Le constat que le SNALC admet partager avec le gouvernement, c’est que les métiers de la fonction publique en général, et de l’Éducation nationale en particulier, sont devenus très peu attractifs : baisse du pouvoir d’achat et des rémunérations, dégradation incessante des conditions de travail, incivilités et violences physiques et morales, manque de reconnaissance, haro sur les fonctionnaires, et réforme des retraites à venir en totale défaveur des fonctionnaires et particulièrement des professeurs de l’aveu même du législateur… la liste des causes de cette désaffection pour nos métiers ne cesse de s’allonger et certains concours peinent à recruter chaque davantage.

Le SNALC qui a été le premier à mettre en place un dispositif de soutien des personnels et d’accompagnement à la mobilité, mobi-SNALC, reconnaît que la demande est forte de la part des agents de l’Éducation nationale et l’offre – de formation ou de seconde carrière – inadaptée, ridicule voire inexistante au regard du nombre d’agents intéressés. L’Éducation nationale ne s’est jamais donné les moyens de mener une véritable politique dans ce domaine. Le SNALC estime à environ 12 000 le nombre de demandes de reconversion et mobilité reçues par les rectorats chaque année alors que l’on compte seulement 70 conseillers mobilité carrière surtout le territoire.

Les nouvelles modalités, et notamment la rupture conventionnelle venant étoffer le dispositif d’IDV actuel, pourraient permettre à certains de retrouver un nouveau souffle.

Pour une réelle amélioration de la mobilité, le SNALC réclame en outre un recrutement plus important de conseillers mobilité carrière, des moyens permettant aisément cette mobilité, notamment concernant la mise en place de bilans de compétences, et une meilleure information dispensée aux personnels car beaucoup ignorent le fonctionnement du compte personnel de formation (CPF).

Toutefois, il n’a pas échappé au SNALC que ce souci marqué de « favoriser les mobilités » était surtout une opportunité remarquable de supprimer peu à peu les 120 000 emplois qu’elle vise jusqu’à 2022 et de réduire encore le champ d’une fonction publique trop coûteuse et peu rentable.

ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ET PROTECTION DES AGENTS

La loi instaure un plan d’action obligatoire pour rétablir « l’égalité professionnelle » entre les hommes et les femmes, notamment dans les procédures d’avancement et les nominations sur les postes de direction et les jurys (40 % au minimum de chaque sexe), ainsi qu’un dispositif de « signalement des violences, de traitement et de suivi des violences sexuelles, du harcèlement et des agissements sexistes ». De nouvelles dérogations aux règles normales de déroulement de carrière ou des concours et des examens sont instituées en faveur des personnes handicapées. Les femmes enceintes seront exonérées du jour de carence. Le gouvernement pourra recourir à des ordonnances dans le cadre de la participation des employeurs à la protection sociale complémentaire ou de l’organisation et de la mutualisation des services de médecine préventive.

C’est dans ce chapitre que se joue toute la perfidie de cette nouvelle loi qui, après avoir méticuleusement démantelé les instances où se défendent les droits des agents, organisé leur départ et la suppression progressive des statuts garantissant leurs droits et affermi le caractère autoritaire à leur égard, apporte également des mesures attendues par tous, légitimes et salutaires pour la santé morale et physique de chacun.

Parmi celles-ci, l’égalité femmes-hommes a été décrétée, dès novembre 2017, « grande Cause du quinquennat ». Dans ce chapitre, figure logiquement l’ambition louable de gommer les différences de traitement, dans les rémunérations et les accès aux promotions et emplois, et de lutter contre toutes les violences sexistes et sexuelles à l’égard des femmes. Le SNALC a participé à une série de réunions sur le thème de l’égalité : les données statistiques présentées par les services sont édifiantes en termes d’accès aux promotions et révèlent une déperdition significative dans le pourcentage de femmes promues par rapport aux promouvables. Le SNALC reconnaît qu’une attention inédite a été portée sur les dernières CAP mais met en garde contre le risque de tomber dans l’excès inverse : la volonté de promouvoir des femmes parce que ce sont des femmes a fait parfois dégrader brutalement certains candidats hommes qui n’avaient pas démérité. En somme, l’effort d’égalité de traitement entre les genres doit être porté dès les premiers moments de la carrière, sans attendre l’accès au dernier niveau de promotion ou d’avancement.

Le SNALC accueille évidemment très favorablement le dispositif de « signalement des violences, de traitement et de suivi des violences sexuelles, du harcèlement et des agissements sexistes ». Il a plusieurs fois eu l’occasion de signaler lui-même et de dénoncer les pratiques et propos de certains personnels, notamment à l’égard d’agents sous leur autorité, en particulier dans le premier degré où des IEN abusent régulièrement de leur autorité à l’encontre de nombreuses professeurs des écoles. Le SNALC réclame des sanctions réelles à l’égard des auteurs de ces pratiques, et non de simples déplacements où les harceleurs séviront inéluctablement sur d’autres victimes.

Le retour vers la suppression du jour de carence en cas de maladie pour les femmes enceintes est un pas juste vers un souci de santé publique dont on aimerait qu’il soit suivi d’un autre à l’égard de tous les fonctionnaires.

Le SNALC accueille favorablement la mise en place de promotions dérogatoires au régime commun, à l’instar des recrutements externes, et l’élargissement du champ des handicaps pris en compte lors des concours en ne limitant plus seulement aux RQTH et handicaps physiques.

Quant au fait de légiférer par ordonnances, le SNALC y voit moins l’urgence à appliquer des améliorations dans la prise en compte des manques et des difficultés, notamment en médecine de prévention, qu’une forme de précipitation et le souci d’imposer de nouvelles règles sans concertation.

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